Pourquoi les lettres ne doivent pas manquer l’ICN

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Vous le savez peut-être: à la rentrée prochaine, certains lycées proposeront, de façon encore un peu expérimentale, un nouvel enseignement d’exploration, en seconde, dont le sigle « ICN » signifie « Informatique et création numérique ». Quand on se promène sur internet à la recherche de renseignements, il nous semble que cet enseignement est clairement conçu pour des orientations plutôt scientifiques: on nous parle des futures options SIN du bac STI2D et de la spécialité ISN au bac S. Informatique, programmation, des mots qui font peur aux littéraires, bref, les choses semblent claires: les lettres n’auraient rien à voir là-dedans. IL suffit d’aller visiter la fiche de l’ONISEP pour le vérifier: http://www.onisep.fr/Choisir-mes-etudes/Au-lycee-au-CFA/Au-lycee-general-et-technologique/Le-nouvel-enseignement-d-exploration-informatique-et-creation-numerique

Pourtant, dans l’intitulé de l’option on trouve bien « création numérique ». Et depuis quelques années, plusieurs de nos élèves de L s’orientent vers des écoles ou des formations d’art numérique. En lettres, au lycée, j’étudie avec mes élèves des œuvres interactives de Serge Bouchardon ou d’Alexandra Saemmer    . Elles sont conçues avec des programmes informatiques.

L’enjeu est de taille: pourquoi laisser le champ de la création numérique au lycée entièrement livré aux matières scientifiques? L’enseignement d’exploration présente une caractéristique bien pratique : la bi-disciplinarité: il me semble que nous, profs de lettres, ne devons pas laisser passer cette occasion. Nos amis profs de maths ou de SI sont assez ouverts pour entendre notre motivation,  et regarder avec nous les œuvres numériques étonnantes que nous pouvons leur montrer. Et si, au lieu d’avoir pour projet de créer avec les élèves un jeu vidéo avec des billes dans un labyrinthe (je dis n’importe quoi…) nous leur faisions inventer un poème interactif?

Certes je ne suis pas si forte en informatique, même si le logiciel Scratch, qui permet de s’initier aux bases de la programmation, ne m’est pas étranger. Mais pour ça, la collègue de mathématiques, à mes côtés, saura mieux que moi enseigner ce langage particulier aux élèves. Et le langage de la programmation reste un langage, d’ailleurs, très rigoureux, intéressant aussi comme objet d’étude. Élaborer un scénario créatif, ouvrir les élèves à l’art numérique,  découvrir les différents métiers qui se cachent derrière la création d’un jeu vidéo… il y a bien de multiples sujets pour lesquels le professeur de lettres est très compétent. Doit-on enseigner aux élèves à programmer en déconnectant ça de la question du contenu de ce qu’ils programment (par exemple des jeux où je zigouille tout le monde) et de l’analyse des effets de ce qu’ils programment? NON. Parce que ce serait même dangereux.

Derrière cette question de notre investissement, en tant que profs de lettres, dans une pareille option a priori scientifique, se profile une question plus vaste: voulons-nous que le numérique reste un domaine de sciences pures, qui n’a rien à voir avec l’art ni même avec une forme d’expression personnelle? Pour notre société, est-ce bien raisonnable de concevoir le numérique en opposition avec le champ du littéraire, qui resterait celui, moyenâgeux,  de la plume d’oie à peine améliorée, tandis que  la maîtrise des écrans serait le domaine des gens IN, ceux qui ont un bac S? La maîtrise du langage informatique est maintenant une nouvelle base fondamentale de l’expression de tout individu: savoir programmer, ce sera savoir s’émanciper des systèmes et des modèles qu’on nous impose. Cela permettrait aussi d’espérer savoir se libérer de sociétés multinationales qui contrôlent tout des nouvelles formes que nous donnons à nos créations sur la toile. La libre expression des auteurs et des artistes de demain dépend bien de cette maîtrise du langage informatique.

Je parle pour les enseignants de lettres, mais je pense que les profs d’arts plastiques et de musique doivent se poser les mêmes questions que nous. Il en va de la construction progressive des fameuses « Humanités numériques ».

 

5 réflexions sur « Pourquoi les lettres ne doivent pas manquer l’ICN »

  1. Christine

    Bonjour, j’entre dans la même démarche dans mon lycée. C’est ainsi que je suis arrivée sur ton blog. En revanche, je n’ai pas du tout d’expérience de travail avec mes élèves sur la littérature très contemporaine. J’ai suivi les liens de cet article, c’est vraiment intéressant et je te remercie de ce partage. Je vais continuer à me renseigner. Si tu as d’autres pistes à explorer, je serais preneuse.

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    1. fcahen94 Auteur de l’article

      Merci de ton intérêt. Voici un lien avec des ressources sur l’ICN: https://padlet.com/francoisecahen/icn
      Je vais l’enrichir au fil du temps.
      Si tu es dans l’académie de Créteil, on va organiser une formation spécifique.
      Veux-tu aussi des pistes de scénarios pédagogiques sur la littérature très contemporaine? Si tu me précises pour quels niveaux et pour quels objets d’études, je peux essayer t’envoyer des idées.

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      1. Christine

        Non, je ne suis pas dans l’académie de Créteil mais de Grenoble. Et je n’ai rien trouvé parmi les formations. Merci pour le lien, qui me sera précieux.
        Cette année, je n’ai pas de premières, et le programme des secondes ne permet pas vraiment de travailler sur la poésie contemporaine …

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