C’est toi qui baisses, vieil aigri, pas le niveau, patate!

Quand j’étais élève, du collège à la fac, ce fut la même rengaine. Chaque année. Quelle que soit la classe, au collège, au lycée, en prépa, à la fac. Une sorte de constante immuable.  Quels que soient mes camarades. Campagnards. Urbains. Latinistes. Ou pas. « LE NIVEAU BAISSE. » Avec toutes ses variantes . »Jamais je n’avais encore vu une orthographe si déplorable dans une classe. » « Jamais je n’ai eu des élèves aussi paresseux ». « De mon temps, on était plus sérieux. » « Votre culture générale s’est tellement dégradée ».  » Vous ne lisez plus, c’est une catastrophe. » Etc, etc.

Seuls quelques profs lumineux ont dérogé à cette lubie décliniste sur mon parcours. Et pas les moins exigeants. Merci à eux.

Je me souviens encore de l’accueil de ma prof de français de première. Je faisais un bac B, mais j’étais passionnée par la littérature, le monde contemporain m’intéressait, j’aimais les maths; le bac B était un vrai choix. Elle nous dit  le jour de la rentrée: « je sais que vous faites ce bac uniquement parce que vous ne pouvez pas aller en S. Je ne me fais pas d’illusion. De toute façon, les bacs B ont toujours été les pires classes que j’aie eues, je n’attends rien de vous. » Et ça a été ça tout au long de l’année. Nous nous devions d’illustrer son point de vue catastrophiste et elle semblait jubiler quand les échecs de certains confirmaient sa vision de la médiocrité obligée d’un élève de première B.

Ces propos m’ont toujours fait bondir. J’ai en partie voulu être prof pour suivre le modèle de certains profs merveilleux, mais aussi en réaction contre les autres, par révolte contre tous ceux que je trouvais si injustes, si sombres à l’intérieur d’eux-mêmes. Je me jurais, bouillant intérieurement à chaque fois que j’entendais « le niveau baisse » et ses variantes, que si j’étais prof, JAMAIS je n’en viendrais à utiliser ce style d’expression. A l’IUFM, j’ai appris d’ailleurs que déjà Socrate se désolait du déclin de la jeunesse, en son temps… Quand j’ai débuté, une collègue plus mûre me dit:  « la preuve irréfutable que le niveau baisse, c’est que j’use beaucoup plus vite mes stylos rouges qu’autrefois. » Elle avait à la main un roller à encre gel. Je lui ai dit: « Regarde ton stylo, il a changé en 20 ans. On veut t’en faire acheter plus, je crois que c’est l’encre qui a été modifiée, aussi… » Mais j’ai eu envie de lui dire: « Regarde-toi, n’as-tu pas changé, non plus, depuis? »

Saviez-vous que par exemple, au XIXème siècle, le niveau d’orthographe était tellement mauvais en France qu’on faisait des dictées en épelant toutes les lettres des mots aux élèves? Ensuite, on leur a fait chercher des fautes dans des textes déjà écrits, là encore parce que l’exercice de la dictée était trop compliqué. Puis les choses ont évolué.

Je pense aujourd’hui à tous mes chers élèves qui passent le bac, et à leur génie, à tous les projets qu’on a menés ensemble. Je sais bien que certains sont en plus en difficulté que d’autres et dire qu’ils sont parfaits ne les servirait pas non plus. La vie de prof, comme celle de lycéen n’est pas tous les jours facile. Mais j’en ai assez de lire des journaux qui font leurs titres sur le cauchemar de l’éducation en France. Notamment pour parler des établissements « de banlieue ». Arrêtons de nous raconter que tout était si beau, si parfait avant. Quelle est cette mythologie? Dans quel état est notre mémoire? Je peux vous dire que dans ma classe de cinquième, en milieu rural, en 1982, dans la Nièvre, une fille avait giflé à toute volée notre prof d’anglais en plein milieu d’un cours. Je peux vous dire que dans la classe de primaire de mon père, autour de 1948, toujours dans la Nièvre, un garçon avait planté son compas dans les fesses de l’instituteur.

Réfléchissons au sens du mot ÉLÈVE. C’est un très beau mot, c’est un programme. Élevons nos élèves.Car tout ce qu’on risque, avec ces rengaines de niveau qui baisse, c’est de leur faire baisser les bras.

NIVEAU

 

 

 

10 réflexions sur « C’est toi qui baisses, vieil aigri, pas le niveau, patate! »

  1. pautrat muriel

    Voilà qui méritait d’être dit! La série B comme ES actuellement à tendance à être dévalorisée par rapport aux S! Et pourtant ce n’est pas si simple que ça l’économie et les maths valent bien celles de S. J’ai suivi la même filière que toi et j’ai l’impression d’entendre ce que me disaient certains profs! A côté, je me souviens d’une prof d’histoire géniale au lycée…Il est vrai que notre lycée est petit mais on y est bien! Ce n’est pas parce que tu es dans un lycée de banlieue ou perdu au fin fond de la campagne que l’on travaille moins bien et que l’on a moins de réussite: il faut un mélange de compétences (des profs qui pour certains n’ont pas baisser les bras et souhaitent faire avancer leurs élèves, des gamins qui veulent s’en sortir et tout ça soutenu par l’administration!)

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  2. Jean Pierre Dubreuil

    Que de souvenirs….. de toutes mes diableries…..d’élève !

    Et comme professeur je me suis inspiré des meilleurs et non des affreux !

    Merci de ravigoter un quasi-vieux mais qui a toujours pensé que le niveau montait !
    S’il me fallait repasser le bac !!!!!!

    Félicitations pour ce billet ravigotant !

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  3. Jul

    Est ce qu’aujourd’hui les profs tiennent toujours ce type de propos?

    N’oublions pas que, dans le passé, la sélection se faisait par les fameuses humanités et non par les sciences… Comme quoi la représentation de l’excellence est culturelle elle aussi!

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    1. fcahen94 Auteur de l’article

      C’est difficile de dire « les profs ». J’ai la chance de travailler dans un lycée de profs motivés et je n’y entends pas de collègues qui se plaignent sans cesse de la baisse du niveau. Et c’est bien pour cela que j’aime mon lycée. Mais dans certains médias, et sur les réseaux sociaux aujourd’hui, il existe aussi des profs qui développent encore beaucoup les thèses déclinistes, semblent aimer les cultiver, les entretenir soigneusement, pour être bien sûr que cette idée de déclin s’enfonce profondément dans le cerveau des gens. Voilà pourquoi je me suis un peu énervée.

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  4. Julie

    On continue la liste ? Mon père s’est fait exclure définitivement du collège dans les années 50 pour avoir « cassé la gueule à un pion ». Et j’ai causé la honte de sa vie à ma mère en mettant des punaises sur la chaise de l’instit en CE1. Bizarrement, cela ne passerait pas un instant par la tête de mes enfants, qui font les moindres de nos bêtises …

    En revanche, il y a bien une chose qui m’inquiète : l’écart qui se creuse entre les têtes de classe, dont le niveau est vraiment excellent, et de plus en plus (pour ce que j’ai observé durant mes 18 années de carrière), et les autres, en particulier les plus faibles. Certes, le niveau ne baisse pas, mais certains stagnent, tandis que d’autres progressent à grands pas. Et cela ne se fait pas au hasard : cela faisait longtemps que la reproduction des élites n’avait pas été si forte !

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