Petite lettre à Marie-Madeleine Pioche ( plus connue sous le nom de Madame de Lafayette)

Chère Marie-Madeleine,

Tu me pardonneras, je l’espère, ce tutoiement, cette familiarité qui n’observe guère les codes de la Cour, que tu as tant célébrés. Mais de femme à femme, je me permets de t’écrire à travers les siècles, pour te dire combien je suis fière de toi.

Tu l’attendais si patiemment, depuis plus de 350 ans, ton heure, sans jamais t’énerver. L’heure où enfin, une femme serait au programme de littérature en Terminale littéraire. Tu les as vus défiler, année après année, tous ces écrivains virils: tous ces petits jeunes, Bonnefoy, Eluard, Diderot, Beckett, Musset, Jaccottet, Quignard, Giono, Breton, ou même Charles de Gaulle, te sont passés devant. Jamais une femme dans ce défilé de l’histoire littéraire exclusivement dédié aux chromosomes Y.

Pas une protestation de ta part, depuis 352 ans précisément que tu nous as quittés: La Princesse de Clèves restait toujours aussi digne, rangée dans sa bibliothèque, magnifique, prête à aimer désespérément le Duc de Nemours au premier regard dans la salle de bal, sans qu’aucun élève de Terminale ne vienne jamais s’emparer de tes beaux volumes dans les rayonnages poussiéreux. Tu subissais même tout aussi dignement l’affront de Nicolas Sarkozy, président de la République, assimilant ton oeuvre au comble de l’ennui, faisant de toi l’emblème d’une forme de culture inutile et rébarbative. Tu as tout supporté: le sexisme, le mépris…

Alors, nous sommes quelques-unes à nous être un peu révoltées pour que les choses changent. Était-ce bien normal que les filles qui composent majoritairement nos classes de terminale littéraire ne voient jamais l’exemple d’une artiste femme et étudient depuis des décennies exclusivement des œuvres écrites par des hommes? Était-ce bien normal que nous leur renvoyions ce message symbolique implicite : « une fille est bien assez bonne pour étudier un auteur homme mais pas assez pour devenir elle-même une auteure un jour »? Non. Décidément ce n’était pas normal. Notre pétition en ligne a tiré le signal d’alarme et au mois de mai, la société a été enfin prête à l’entendre. Les écrivains, les journalistes, les professeurs, les parents, les élèves, la Ministre de l’éducation, tous -sauf quelques irréductibles machos- ont trouvé cette cause juste. Marie-Madeleine -ne m’en veux pas de t’appeler Marie-Madeleine- on a fait ça pour toi.

Alors, j’espère bien, Marie-Madeleine, que tu es seulement la première. La première d’une longue liste où l’on trouvera aussi bien ta copine la Marquise de Sévigné que Mme de Staël,  George Sand, Colette, Olympe de Gouges, Julie de Lespinasse, Marceline Desbordes-Valmore, toutes nos géniales écrivaines contemporaines: Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute, Annie Ernaux, Andrée Chedid, Virginie Despentes, Marie N’diaye, Vénus Khoury-Ghata, qui sais-je encore… Parce que lorsque je regarde en classe de première, le jour de l’oral du bac, les descriptifs des textes étudiés en classe, bien trop rares sont ceux qui comportent ne serait-ce qu’un seul texte écrit par une femme.

Et si le problème ne se limitait qu’aux lettres, Marie-Madeleine, mais le problème de l’inégalité de représentation entre les hommes et les femmes à l’école s’étend aux manuels de toutes les matières de notre système scolaire. Le Haut Conseil pour l’égalité vient de rendre un rapport édifiant à ce propos:   dans les manuels de CP, les femmes représentent 40% des personnages et 70% de ceux qui font la cuisine et le ménage, mais seulement 3% des personnages occupant un métier scientifique !

Toi, moi, et quelques milliers d’autres, au mois de mai, Marie-Madeleine, nous avons fait un peu bouger les choses. C’est toi et ta Princesse de Montpensier, si joliment adaptée au cinéma par Bertrand Tavernier qui êtes au programme de Terminale l’année prochaine. Merci d’être la première et de porter avec autant de dignité cette responsabilité. Tu es notre cheffe de file. Merci à tous ceux qui nous y ont aidé. Ensemble nous continuerons, pas à pas, à essayer de faire bouger les représentations de nos rôles. Et nos rôles tout court.

….Même si, à cet égard, la prochaine élection présidentielle manque déjà bien cruellement de femmes candidates.

Marie-Madeleine, je t’envoie par delà les siècles, les rangs sociaux, les codes, ma plus vive admiration et ma plus chaleureuse amitié. Vois-tu, j’étudierai avec plus de plaisir que jamais- et des milliers d’autres filles et garçons avec moi- La Princesse de Montpensier à la rentrée prochaine.

 

Françoise

 

 

Une réflexion sur « Petite lettre à Marie-Madeleine Pioche ( plus connue sous le nom de Madame de Lafayette) »

  1. Olivier GASTON

    Bravo!

    C’est une excellente nouvelle et tellement importante pour l’image de la femme, et l’accès aux postes de responsabilité des femmes!

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