Sois agrégée et tais-toi.

Delphine, Khadidja, Samia, Houda, Corine, Frederica, Sophie…: ce sont les prénoms des admissibles à l’agrégation de lettres modernes qui figurent au début de la liste alphabétique officielle de Publinet

Nicolas, Gustave, André, Jean, François, Chrétien…: ce sont les prénoms des auteurs que les candidates de l’année prochaine devront étudier.

Les candidates sont 185 à être admissibles à l’agrégation interne de lettres modernes 2017, quand leurs homologues masculins ne sont que 41. Les femmes représentent donc 82% des admissibles. J’ai fait le calcul, les comptant une à une, avec des petits bâtons sur une feuille.

En revanche, nous comptons sur 12 auteurs au programme- ce qui laisse pas mal de possibilités tout de même a priori- ZERO femme. Eh oui, NADA. Que pouik. Même pas une toute petite discrète, qui aurait pointé son nez là, comme Christine de Pisan pour la littérature du Moyen-Age l’an passé : elle avait réussi miraculeusement à faufiler sa tête à haute coiffe derrière une tenture damassée, pour s’infiltrer en intruse dans le programme….

Les filles littéraires, vous êtes douées -chapeau- vous êtes sacrément érudites, c’est la qualité de vos copies de concours qui le dit. Bravo: pas évident de travailler tout ce programme d’agrégation, avec ces nombreux livres à lire, à analyser en finesse…

Mais bon, de là à devenir un jour des artistes, il ne faudrait peut-être pas prendre la grosse tête non plus! Non, vous, vous êtes seulement là pour les admirer et les étudier, ces grands Hommes! Car la notion de grande Femme qui pourrait avoir quelques grammes de vrai talent artistique littéraire semble appartenir à un autre monde, mais pas encore à celui d’aujourd’hui. Restez bien calmes dans la sphère scolaire. L’Art ne vous appartient pas.

Ce qui est incompréhensible pour moi, dans cette annonce des nouveaux programmes d’agrégation, c’est que Najat Vallaud-Belkacem, dans son communiqué de lundi, soulignait elle-même le sexisme des programmes d’agrégation. Elle avait sensibilisé les commissions qui décident des programmes à ces problèmes, et la décision de rompre avec ce cercle vicieux misogyne que semblait signifier le choix de Madame de Lafayette en terminale littéraire m’avait fait bondir de joie.

C’est ce qui s’appelle un chaud et froid.

Je crois que pourtant, l’heure est venue où nous ne supportons plus de perpétuer ce modèle culturel sexiste qui nous est imposé. Car il ne correspond plus à la société que nous voulons. Parmi toutes ces jeunes agrégatives de 23 ans, se cachent aussi les futures géniales romancières ou poétesses de demain. Prenez Annie Ernaux, qui a été professeure de lettres pendant longtemps. Prenez Marie Darrieussecq, normalienne de lettres. Je ne dis pas qu’il est impossible pour les femmes de trouver des modèles artistiques masculins. Mais franchement, avouez qu’on ne leur facilite pas la tâche. Et de là à se retrouver avec 12 HOMMES ET ZERO FEMME…

On me répondra: « Oui, mais il faut avouer que ce programme est d’une grande qualité littéraire ». Alors bien sûr, ne faites pas de moi quelqu’un d’obtus qui détesterait les hommes au point de ne pas reconnaître le talent vraiment évident de Nicolas Bouvier, par exemple. Je me réjouis de ce choix original. Le fait de déplorer si vivement l’absence des femmes et de la considérer comme une injustice évidente, en 2017, ne m’empêche pas de reconnaître complètement la qualité littéraire de ce programme. Ne caricaturez pas la position des femmes qui protestent en faisant d’elles des hystériques extrémistes. (Car j’ai déjà reçu ce matin quelques messages en ce sens…) Nous protestons parce qu’aujourd’hui il faut des actes volontaristes de la part des commissions de choix des programmes, pour rompre de façon visible et non ambiguë avec le modèle de domination qui se perpétue. Reportez-vous aux conclusions du rapport du Haut Conseil à l’égalité, rendu récemment,  qui insistait sur la nécessité de sensibiliser les futurs professeurs à la représentation des femmes dans leur enseignement! Car là, avec ce programme, on fait tout juste le CONTRAIRE.

 

2 réflexions sur « Sois agrégée et tais-toi. »

  1. Veronique Durocher

    Mme NajatVB a « sensibilisé » les commissions de décision, Mais Ça ne suffit pas, Il faut prendre une décision ferme et imposer le changement
    Elle est transparente ds sa démarche
    Tant qu’elle ne s’affirmera pas Elle même , cet état de fait ne changera pas
    Et puis elle confie les missions de réflexions sur l’évolution de l’éducation à Francois Taddei, certainement très compétent , Mais un symbole fort aurait été de choisir Une femme, Tellement majoritaires dans ce domaine
    Tout commence par une représentation féminine publique et politique qui s’impose , cest ce qui manque aux femmes

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    1. fcahen94 Auteur de l’article

      Je pense qu’on a eu pourtant une chance unique, avec une ministre de l’éducation authentiquement féministe, on ne peut pas lui enlever ça. Le communiqué du Ministère datant de lundi insiste déjà sur le problème des programmes d’agrégation, comme si elle l’anticipait. Nous devons aussi nous mettre en colère, nous les enseignantes de lettres de base, agrégées ou pas, faire du bruit et sensibiliser la société à ce problème jusqu’à ce que chacun trouve cela naturellement anormal de voir 12 hommes au programme. Quel quota imaginer? Un texte stipulant « au moins une femme » paraîtrait peut-être ridicule. Là au moins, sans une seule femme, l’oubli est tellement énorme, qu’on peut en profiter pour se révolter.

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