Andrée Chedid n’est pas un homme.

La bonne nouvelle de l’écrit du bac français des séries ES/S, c’est que cette épreuve aura permis à Andrée Chedid d’être plus connue. Cette autrice importante n’est pas assez lue. Qu’elle devienne l’objet du commentaire de texte au bac va contribuer à asseoir son importance dans notre « canon littéraire », où la place des femmes, même contemporaines, est encore trop fragile.

Mais les élèves  de première ont tendance à paniquer, parce qu’ils/elles sont nombreux à avoir cru tout au long de leur copie qu’il s’agit d’un homme. On peut les tranquilliser: l’essentiel, dans un commentaire, c’est d’avoir interprété avec pertinence et de façon personnelle, sensible, le texte donné à l’examen.  Il est fréquent de ne pas tomber sur un texte connu à l’écrit du bac: ainsi tous les candidats sont sur un pied d’égalité, alors que quand les auteurs sont plus célèbres, ceux qui les ont étudiés en classe ont plus de chance que les autres. L’année prochaine, avec la réforme du bac, le commentaire écrit portera d’ailleurs sur une oeuvre en dehors du programme, qui pour les autres exercices ( la dissertation et l’oral) sera imposé. Evaluer des compétences de lecture, ce n’est pas évaluer la récitation par cœur d’une leçon toute faite sur un.e auteur.e.

Certes c’est une maladresse de ne pas avoir su identifier le E final d’Andrée comme une marque de féminin. Mais on connaît tous Thésée, Enée, Thimothée, Orphée, Amédée, et ce sont bien des garçons. On connaît aussi des Zoé, Daphné, Aglaé, Chloé, qui sont des filles. La mode des prénoms italiens fait qu’on a parfois des Andrea de sexe masculin dans nos classes de lycée. De plus, si les adultes d’une quarantaine ou d’une cinquantaine d’années ont bien connu les Renée et autre Andrée dans leur enfance, les adolescents d’aujourd’hui n’en ont pas beaucoup côtoyé. Enfin, André, cela vient d’un mot grec qui justement, signifie « homme »: le prénom porte dans son étymologie même l’idée de sexe masculin: voilà aussi un facteur qui a pu agir sur l’erreur, car du point de vue sémantique, Andrée au féminin est assez paradoxal.

Mais surtout, comme le souligne le media Les Nouvelles News, cette étourderie lycéenne est révélatrice d’un instinct qui porte à priori nos élèves à identifier un poète comme un homme. Spontanément, dans le feu de l’examen, si les candidat.es sont aussi nombreux à commettre la même erreur, c’est bien parce lire des noms de poétesses dans les manuels scolaires, dans les descriptifs de baccalauréat, ce n’est pas encore une habitude intégrée.

Certes, les choses changent depuis notre pétition, sûrement et lentement. Il faudra être patient pour que cette modification progressive de nos repères littéraires -vers une forme plus égalitaire- entre réellement dans la norme scolaire et culturelle de ce pays. Pour l’instant, c’est encore un événement qu’on me signale: « Françoise, tu dois être contente! Il y a deux femmes dans le sujet des premières ES et S! » Moi-même, quand j’ai découvert le sujet, pour lequel je surveillais l’épreuve, j’ai presque sauté de joie, à la façon d’un personnage de dessin animé qui trouve une chose incroyable…  (Bon, on oublie au passage qu’il n’y a aucune femme dans les sujets de L et de section technologique…) Une forme d’égalité sera acquise quand on ne trouvera plus notable que les textes donnés pour le bac aient été écrits par des hommes ou par des femmes, quand je ne sauterai plus de joie parce que je vois un nom de femme sur un sujet: alors quand viendra cette époque, on pourra parier que nos élèves seront plus nombreux à identifier Andrée Chedid comme une femme.

Mais en attendant, pour l’instant, réjouissons-nous pour elle et pour Anna de Noailles, dont c’est un peu la fête ces jours-ci!

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *