Open Bad-Jeu

Est-ce que pour valoriser mon parcours, je veux parler de moi en exhibant un album Panini plein de badges qui ressemblent à des macarons Scouts ?

C’est bien la proposition de plusieurs académies ce week-end, avec les open-badges.

On oublie aussi que les signifiants ont en soi un sens : ces badges constituent un système de représentation, et sa sémiotique est révélatrice. Ces open-badges veulent dire qu’on aurait à construire un récit de soi, sérieux  -puisqu’une rectrice nous explique dans une vidéo qu’il sert à construire notre carrière, ce qui n’est pas rien- avec des autocollants qui ressemblent à ce qu’on gagne quand on achète un paquet de Babybel.

Est-ce que je veux me raconter avec un tableau de médailles en chocolat ? Est-ce que je veux que mon institution représente mon travail ainsi ?

Cela nous renvoie aussi aux jeux vidéos et au monde virtuel : là le signe est important aussi, le VIRTUEL. Ces insignes pixellisées sont une manière de bien insister sur le fait qu’on ne peut pas nous donner des récompenses qui salueraient matériellement notre investissement (alors qu’on a  quand même bien usé nos ordinateurs personnels, pas des machines de luxe, qu’on a beaucoup fait chauffer…) dans une période où notre travail a souvent été remis en cause médiatiquement, sans parole ministérielle forte pour contredire des allégations qui nous affichaient publiquement comme des décrocheurs.

Voilà pourquoi nous nous sentons vraiment méprisés par ces (in)signes qu’on nous envoie.

Attention parce qu’il y a des aspects qui peuvent sembler sympathiques : on nous parle d’évaluation innovante par les pairs notamment. Mais là, on ne comprend plus bien, puisque c’est l’institution qui propose de nous envoyer des open-badges : cela apparaît donc plus proche du tableau d’honneur des meilleurs ouvriers des usines soviétiques que d’une analyse fine et partagée de compétences comme on essaie de nous le vendre.

C’est aussi un mode d’évaluation qui est lié aux datas : je m’estampille, j’estampille mes collègues, dans un contexte de capitalisme de surveillance. J’aimerais que l’humain dans l’éducation nationale ne soit pas apparenté à une marchandise qu’on étiquette, en nous demandant de faire le tri nous-mêmes. Cela serait un message d’espoir pour le reste de la société, en fait.

On me dit aussi « mais c’est uniquement valorisant, aucun badge n’est dévalorisant » : hem hem, si vous recevez le badge « utilisateur » alors que votre voisin reçoit le badge « expert », ça veut dire quoi, au juste ? N’est-ce pas une façon hypocrite de construire des hiérarchies professionnelles ?

Certains préfèrent même ça aux concours, qui ne valideraient pas de réelles compétences. Pourtant, je peux dire qu’à 23 ans, j’aurais été incapable d’être cooptée par qui que ce soit, je ne sais pas comment autrement que par un concours anonyme, on aurait pu reconnaître mes compétences ou mes connaissances. On pense par exemple aux recommandations sur LinkedIn : comment tous ces gens font pour m’évaluer alors que la plupart ne m’ont jamais vue ? Ils m’envoient des recommandations dans l’espoir que je reconnaisse les leurs ensuite. C’est aussi ça l’objectivité de l’évaluation numérique…

Il y a aussi une sorte de croyance infantilisante qui pense à notre place que les enseignants ont besoin de motivations extrinsèques pour progresser ou se motiver… Changerai-je mes pratiques pour un badge? Est-ce que vraiment je vais me mettre à faire la course aux badges? Est-ce que cela serait même bon signe pour l’éducation nationale que cela devienne ma motivation? Je crois même que les gens qui vont partir à la course aux badges seront ceux qui cherchent plus l’affichage que ceux qui voudront vraiment vivre des expériences pédagogiques fortes et authentiques avec leurs élèves.

Ne dit-on pas d’un badge qu’il est un gadget?

5 réflexions sur « Open Bad-Jeu »

  1. Agnes Espaignet

    Je suis absolument d’accord avec tout ce que vous écrivez même si je ne vous connais pas :).
    30 ans de « maison » et pourtant ils arrivent encore à m’étonner.

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  2. Yann

    Bonjour,j’ai des doubles que je suis prêt à échanger :
    « Mon salaire est gelé depuis des années. »

    Ainsi qu’un badge tout neuf qui n’a jamais servi :
    « Merci… pour votre soutien. »
    Je n’ai jamais pu me décider à compléter l’espace laissé libre. J’hésite encore entre l’administration, mon ministre et, les parents ou les médias.

    Bon, cest un peu comme les pin’s. Cest daté.

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  3. Chardaire

    Moi aussi… je découvre ces badges qui n’étaient pour moi que des outils de blague entre collègues… et je vois que ca vient vraiment d’en haut…. la connerie n’a pas de limite à l’éducation nationale…. je croyais que les bons points et les images avaient disparu….

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