Impressions d’Avignon 2016

KARAMAZOV : J’ai beaucoup aimé ce spectacle, j’ai trouvé que l’endroit ( la carrière de Boulbon), sa longueur (5h) nous immergeait vraiment dans la matière romanesque, on était comme plongé dans Dostoïevski. J’ai aimé la façon dont jouaient les acteurs. Il y avait peut-être un peu trop de machines dans les décors (les rails, sans doute pour un effet « transsibérien », étaient le support de va-et-vient un peu trop nombreux d’éléments de décor) mais à part ça, c’était tout de même concentré sur l’essentiel de l’histoire, qui sonnait juste, c’était une performance admirable mais d’où s’échappait quelque-chose d’authentique, de généreux, pas tape à l’œil ou prétentieux. Cette impression d’avoir les personnages de Dostoïevski devant soi, les vrais. C’est ça, le théâtre, non ?

 

LES DAMNES : j’ai moins aimé cette grande attraction de la Cour d’Honneur, pourtant vantée partout. Cela doit tenir au choix du texte, que je n’ai pas tant apprécié que ça, et j’ai trouvé les effets de mise en scène un peu pesants. Par exemple, Lear, l’an passé, était un peu dans le même genre d’esthétique, (le gigantisme décadent avec des mecs à poil) mais j’avais trouvé ça plus fou, plus enlevé, plus provoquant finalement. Là c’était comme rangé : on mettait chacun dans son cercueil de façon répétitive par exemple. Et les effets des coulisses apparentes  et des gars qui se désapent (les nanas, on ne les montre pas toutes nues tout entières, il y aurait des limites à la provoc.) je les avais déjà vus dans d’autres spectacles, comme si c’était des codes du théâtre actuel qu’on réutilise pour être dans le ton d’une époque, plus qu’une réelle invention. Et j’ai préféré les acteurs étonnants de Karamazov aux acteurs de la Comédie française dont on se dit : « Il est comment alors, Podalydès, dans le rôle ? » avant de voir son personnage. (Même si j’aime bien Podalydès !) Je ne dis pas que c’était nul, car c’était spectaculaire, il se passait des choses, mais pour moi, ça ne prenait pas totalement, les symboles pesaient mille tonnes.

 

TIGERN : J’ai adoré ce spectacle suédois! La modestie du dispositif fait penser au départ à un club théâtre de lycée. L’histoire est simple : une tigresse s’est échappé du zoo d’une ville universitaire de province, et elle a erré pendant 5 heures en ville, avant de se faire abattre. Différents récits de témoins retracent l’histoire. Au début on croit que ça va être une vraie enquête sur un fait divers. On nous montre une carte de la ville, c’est un peu scolaire : et alors il faut déjà faire attention à la façon dont on nous en montre les différents quartiers, bien cloisonnés. Le vrai zoo est-ce celui où sont les animaux, ou bien cet espèce de bidonville où s’entassent les migrants ?  On bascule très vite dans l’humour absurde façon Rhinocéros de Ionesco, avec cette tigresse qui prend le taxi le plus naturellement du monde. On se rend compte que chacun accueille à sa façon l’Autre, symbolisé par le tigresse : une touriste française à l’accent hilarant va avoir une révélation quasi-mystique, d’autres sont méprisants, peureux… Une scène restera un des meilleurs moments de théâtre que j’ai jamais vus : trois comédiens sont assis, à l’étroit derrière une table. On les prend pour trois témoins supplémentaires. On comprend vite qu’il s’agit d’un corbeau, d’un pigeon, et d’un moineau (ils sont suggérés par quelques tics, c’est vraiment archi-drôle) et chacun a un point de vue différents sur l’animal, au point qu’on se demande si on serait plutôt soi-même corbeau, pigeon ou moineau (celui qui n’a jamais rien vu et ne veut jamais rien voir). Cette fable joue sur les frontières entre l’humain et l’animal. C’est riche, car à partir de trois fois rien, on explore des limites du comique mais ça nous parle vraiment de la société d’aujourd’hui.

 

Dans le OFF, j’ai aussi vu de belles choses :

COMPACT : de la danse à Golovine. Un danseur et une danseuse explorent toutes les façons d’enchevêtrer leurs corps : tout se passe pratiquement au sol et fait évoluer une sorte de nœud humain. Cela aurait pu être obscène mais pas du tout, la chorégraphe est super-douée, c’est plein d’humour et il y a aussi de la sensualité, j’ai aimé, c’était surprenant. Alors que j’ai moins aimé, sur ce thème de la sensualité, aux Hivernales, Une femme au soleil de Perrine Valli, que j’ai trouvé trop fluide, comme si tout glissait tellement qu’on ne pouvait rien en retenir de notable, alors que les 4 danseurs sont pourtant impeccables.

 

KING-KONG THEORIE : d’après Virginie Despentes, au Gilgamesh. Un chouette spectacle avec deux actrices, qui font tout un travail sur l’intériorité de leur jeu, la façon très singulière et si directe dont elles le communiquent au spectateur. Ce sont deux monologues successifs et c’est d’une force assez stupéfiante, le public est scotché par cette intensité. Bien sûr aussi, j’aime spécialement ce texte féministe de Virginie Despentes.

 

FIGHT NIGHT à la patinoire. C’est un spectacle interactif avec des boîtiers de vote distribués aux spectateurs, façon téléréalité, mais qui, mine de rien, vous fait réfléchir aux ressorts de la démocratie. Vous avez face à vous 5 candidats, et à la fin du spectacle, le public doit avoir élu, après des éliminations successives, son candidat préféré. Au début, on ne connaît que leur prénom et leur physique, et il faut déjà se prononcer, puis, ils parlent, il y a divers retournements de l’opinion. On réfléchit à ce que signifie « refuser de voter », à ce que signifie « la majorité » : mais QUI est cette fameuse majorité ? C’est ludique, on rit, mais cette récréation interactive fait repartir les spectateurs dans le bus avec plein de questions, voire de disputes !

 

POMPIERS au balcon. C’est un spectacle sur le fil du rasoir. A priori on se dit que le sujet va être sordide : l’intrigue reprend un fait divers. Une jeune femme simple d’esprit est devenue le jouet sexuel de toute une caserne de pompiers, manipulée par l’un d’eux. C’est le moment du procès, et dans la salle d’attente du tribunal, le principal accusé et la victime se rencontrent. Il est difficile de jouer le rôle de la fausse handicapée mentale légère, tout comme il est délicat de jouer le pompier violeur. J’ai trouvé le jeu des deux comédiens très classe, impressionnant, et la qualité du texte lui-même permettait à la pièce, malgré son thème, de ne jamais verser ni dans la candeur caricaturale ni dans la vulgarité. J’aime que le théâtre s’empare d’un sujet risqué, fait pour mettre mal à l’aise.

 

LE BAL d’Irène Némirovsky : je ne m’attendais pas à ça, on dirait une mise en scène d’autrefois avec Jacqueline Maillan. Ce n’est pas du théâtre révolutionnaire, la pièce est mise en scène par Virginie Lemoine,  mais tout le monde rit beaucoup, et l’intrigue est très cruelle. Alors qu’importe ? C’est le plus important, un bon texte comme si c’était un Molière Art-Déco, un public plié de rire. Je pense que le fait que Virginie Lemoine soit une experte du rire y contribue : on sent qu’elle sait exactement comment prolonger un fou rire dans un public, filer un effet, ricocher…

 

LOOKING FOR ALCESTE à la patinoire aussi : j’ai beaucoup aimé la chanteuse et la violoncelliste, que j’ai trouvées incroyables, et c’est dommage qu’elles ne prennent pas plus de place dans le spectacle. C’est en fait une sorte d’autofiction : l’acteur-auteur connaît la crise de la quarantaine et se dit misanthrope. Il se livre à une sorte d’enquête sur la misanthropie en allant trouver des hommes qui s’isolent des autres – plus ou moins fantasmés. Le problème est que cet acteur est le sosie d’un de mes anciens collègues au lycée, ce qui m’a peut-être un peu empêchée de le trouver fascinant, même si ce n’est pas le but du spectacle. C’était intéressant, assez original, mais sans plus, trop autocentré je pense, peut-être?.

 

LES CREANCIERS  de Strindberg au collège de la Salle. Une mise en scène très plastique avec des comédiens qui ont des corps étonnants de beauté (surtout l’un des hommes) ce qui passe presque avant la pièce elle-même. Cette pièce est assez forte, c’est un genre en soi: représenter les affres de tourments psychologiques un peu extrêmes.

 

J’ai vu encore d’autres spectacles, mais je m’arrête là, car bon, je n’ai pas signé de contrat pour vous parler de tout ce que j’ai vu, j’en ai un peu marre d’écrire, et tout le monde s’en fiche finalement !

 

 

Théâtre-national-TIGERN Le corbeau, le moineau et le pigeon, dans Tigern

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