Les écrivaines doivent apparaître enfin dans les programmes de littérature. Depuis que la pétition – qui a dépassé le millier de signatures- a relancé ce débat, on entend plusieurs arguments pour justifier l’absence des femmes dans les programmes de littérature de terminale. J’aimerais y répondre.
1er argument macho: On ne détermine pas les auteurs du programme en fonction de leur sexe, mais uniquement au regard de la qualité littéraire de leurs textes.
Eh bien justement! Cela devrait vous apparaître d’autant plus horrible de n’avoir pas sélectionné une femme depuis si longtemps (combien de temps d’ailleurs, on ne le sait même plus…) Je suis persuadée qu’en haut lieu personne n’a jamais voulu affirmer que les écrivaines étaient moins intéressantes que les écrivains, mais dans les faits, ce qui s’est produit revient au même que si l’oubli des femmes était intentionnel. C’est d’ailleurs presque pire: une négligence rampante, sournoise… Cette absence se fait en catimini et pérennise un modèle culturel du passé, avec lequel il est de notre devoir de rompre. Pourquoi ces choix? Parce qu’il y aurait toujours une bonne raison de faire connaître aux lycéennes Les Mémoires du Général de Gaulle plutôt que les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir? Pascal Quignard plutôt que Marguerite Yourcenar? Yves Bonnefoy plutôt que qu’Annie Ernaux? Philippe Jacottet plutôt que Marguerite Duras? Celui qui gagne est…toujours un homme! (Mais depuis plus de 15 ans, c’est juste une coïncidence, on vous l’assure, hein….)
2ème argument macho: En littérature, il est normal qu’il y ait plus d’hommes, car on fait étudier plus d’auteurs du passé que d’auteurs du présent, et autrefois, les femmes écrivaient moins.
Faux! Cet argument ne tient pas une seconde! En terminale littéraire, c’est justement une tradition, à ce niveau, d’étudier des auteurs vivants, ou des auteurs du XXème siècle très régulièrement. Pour ma part, j’ai toujours étudié avec gourmandise les auteurs contemporains proposés: Queneau, Quignard, Beckett…Il n’est pas question ici de contester leur intérêt, mais de faire attention à ne pas enterrer le génie féminin. Quid de Nathalie Sarraute? De Colette? Sans compter nos auteurEs vivantes, et si vivantes: Hélène Cixous, Marie N’Diaye, Lydie Salvayre, Nicole Caligaris, Virginie Despentes, Chloé Delaume, Emmanuelle Pireyre, et beaucoup d’autres encore? Et puis les écrivaines du passé existent aussi. Qui peut rester insensible aux tourments de Louise Labé? Qui peut nier la beauté de la Princesse de Clèves? ETC, etc…
3ème argument macho: Il n’y a qu’un auteur du programme qui change chaque année, cela serait donc trop fastidieux d’établir une règle de parité entre hommes et femmes.
Mais…. Le problème était le même quand il y avait 4 auteurs au programme! Et il ne s’agit pas pour l’instant d’adopter une règle de parité (encore que, c’est à voir…): nous souhaitons voir casser d’urgence cette malédiction littéraire qui frappe les femmes. Combien d’années devrons-nous attendre gentiment ce moment où enfin, une femme sera au programme? Au bout de toutes ces années d’enseignement, j’ai l’impression pénible que je serai peut-être morte avant. 80% de mes collègues profs de lettres sont des femmes, j’ai des classes de terminale littéraire dans lesquelles il est courant de ne voir qu’un ou deux garçons au milieu d’un effectif essentiellement féminin. Et puis, accessoirement, je suis la maman de 3 filles. Je pense à elles: mes collègues, mes élèves, mes filles. Symboliquement, l’institution devrait leur signifier clairement que leur place n’est pas seulement celle d’étudier et d’admirer les artistes hommes mais aussi de DEVENIR des artistes elles mêmes. Sinon, le monde ne changera jamais.
Ceux qui élaborent les programmes ont une lourde responsabilité: ils devraient regarder plus loin que l’année en cours et jeter un œil dans le rétroviseur. Le programme qui s’écrit chaque année, strate après strate, forme un message symbolique de domination culturelle masculine qu’ils envoient, mine de rien, à toutes ces filles de terminale L depuis des lustres, et à leurs profs. Plusieurs auteurs contemporains hommes et femmes ont déjà réagi vivement sur les réseaux sociaux à notre appel à la réflexion sur les programmes. Notre constat relève du bon sens,et il n’est pas nouveau: Ariane, une lycéenne indignée, avait déjà créé une pétition il y a deux ans, le journal Libération avait publié un article engagé l’an passé à ce sujet, etc… Des efforts ont été faits dans les nouveaux programmes de collège, avec en sixième la mention « héros et héroïnes de l’Antiquité », qui montre bien qu’on porte une attention particulière à la part du Féminin dans la culture. Pourquoi ne pas faire le même genre d’effort en terminale? Non seulement le fait d’exprimer une réaction assez révoltée me semble légitime; mais j’aurais honte de me taire et de laisser tomber au compte-gouttes dans le grand vase des programmes un homme de plus, ce pauvre André Gide, alors que le récipient institutionnel déborde de testostérone depuis longtemps, sans rien essayer de faire.
Si vous aussi vous voulez réagir, signez la pétition.